Ziad Antar, Au hasard de la pellicule
15 02 … 18 05 2014

 

La photographie est affaire d’intention. On pense que le photographe doit contrôler de bout en bout la chaine qui conduit de la prise de vue au tirage. Mais qu’advient-il quand la pellicule d’origine est obsolète? Avec la série Expired,  le libanais Ziad Antar s’abandonne au hasard. L’utilisation de films périmés insérés dans des appareils argentiques parfois eux-mêmes endommagés rend l’aléa maître du jeu. A l’artiste de se jouer ensuite des coulures informelles, des taches, des restes d’une représentation. La photographie du réel décomposée, sans contrôle, s’assimile à la traditionnelle vanité ; elle fait disparaitre les corps et les architectures d’un monde qui a oublié qu’il était éphémère.

Depuis une dizaine d’années, l’artiste libanais Ziad Antar (Saida, 1978) s’abandonne aux aléas formels nés de l’utilisation de pellicules argentiques périmées. Trouvées chez son compatriote, le photographe Hashem El Madani, elles sont devenues à travers la série "Expired " l’objet d’une expérimentation non seulement esthétique mais philosophique de l’image photographique.
 Ziad Antar questionne la nature-même de la photographie, l’intention qui préside au déclenchement de l’obturateur. La chimie altérée du support interdit toute maîtrise préalable de la prise de vue. L’artiste laisse le hasard opérer.

Chacun sait que grâce à l’industrie, à la machine et surtout à la marchandise, conséquence de nombreuses expériences personnelles et d’épreuves quotidiennes, l’usage d’un appareil photographique ne requiert ni apprentissage, ni même grande application. La caméra que l’on nous offre aujourd’hui suppose une accoutumance rapide et le renoncement de toute autorité sur la machine. L’ingéniosité du geste technique n’a de justification dans le mode de production actuel que déployée simplement avec aisance par l’utilisateur.
 Avec "Expired", Ziad Antar s’adonne volontiers à un jeu de dénégation de la posture technicienne. La procédure n’a rien de complexe. Elle ne demande qu’une pellicule obsolète, recueillie chez un vieux photographe libanais, insérée dans une camera argentique. Il ne faut plus alors que s’abandonner au hasard ! Il reste, néanmoins, que le refus de l’emploi « traditionnel » de la photographie par un illettré obstiné ne contredit pas l’acte photographique. Il inaugure un autre temps, quand, en quête d’une vérité révélée, on dépose la conformité de la belle image et les principes de la photographie d’art. Nulle ironie  sur l’image « réussie », d’autres dans les années 1970 l’ont fait. "Expired" refuse le verdict de la vision préétablie par le dispositif technique et les recettes. La série s’amuse de la divergence entre la notice d’utilisation et sa corruption ! Là, où il ne devrait rester en fin de compte que des malentendus et des revers, on aboutit à un objet d’une stupéfiante beauté dont la fin n’est rien moins que la redéfinition de l’interprétation du photographique.

Extrait du texte de François Cheval "Expired ou le double décomposé"
publié dans le livre : "Ziad Antar - expired"
édité à l'occasion de l'exposition par les Beaux-Arts de Paris éditions et le musée Nicéphore Niépce.