Albums de famille,
Les images de l’intime
18 06 …18 09 2011

 

Tout comme les photographies qu’ils contiennent, les albums de famille sont des objets à priori insignifiants. On s’attend sans surprise à y retrouver les images archétypales de la vie familiale : naissances, fêtes, et pourquoi pas quelques voyages…  Leur étude révèle pourtant l’aspect protéiforme que revêt la création d’un album, du choix des images à leur mise en page, en passant par le rythme de la narration.
Le musée Nicéphore Niépce s’intéresse depuis plusieurs années à ces albums et a constitué au fil d’achats ciblés et de dons, une collection importante. Avec cette exposition, le musée tente de déterminer ce qu’est un album de famille.

Alors que ces objets polymorphes entrent dans les collections des musées, leur fonction originale n’est plus, leur signification est déjà perdue. Bien que la chaine soit brisée et que les histoires deviennent bribes, la banalité des récits se mue paradoxalement en mystère que l’on cherche à percer. L’événement anodin exerce une fascination difficilement explicable sur le spectateur. La filiation permet un jeu de piste visuel des plus divertissants. La grande Histoire surgit parfois, légitimant toute curiosité.  Le regard que nous posons aujourd’hui sur ces albums, bien que détaché de la réalité des individus qui les ont composés, est avidement attiré par ces images de l’intime.

Si la définition formelle de l’album de famille est simple -  il s’agit d’un regroupement organisé de photographies sur des pages reliées – l’objet dans ses formes diverses s’avère beaucoup plus complexe : l’album est une biographie en images, la première occasion donnée à chacun de se construire une fiction personnelle, plus ou moins idéalisée. La personnalité du biographe - celui qui ordonne les vues dans l’album, les classe, les légende - est en cela déterminante même si celui-ci n’est pas automatiquement le preneur de vues. Les albums de famille racontent l’histoire de leur auteur et de son entourage proche, dans un souci de préservation et de transmission de la mémoire.

Un jeu de société et d’apparences .

Les premiers albums de photographie de famille apparaissent dans les années 1860. Ils accompagnent l’engouement pour le portrait "carte de visite", que la bonne société fait réaliser en série chez le photographe pour distribuer aux proches ou aux relations mondaines. Dans des ouvertures prédécoupées dans les pages, on insère ces petits portraits collés sur carton. La famille y est artificiellement rassemblée, voire classifiée dans le plus grand conformisme. Le récit se limite au vieillissement plus ou moins évident des protagonistes, quand ceux-ci apparaissent plusieurs fois au fil de l’album. Version miniature et portative des galeries d’ancêtres réservées à l’aristocratie jusqu’à l’avènement de la photographie, ils témoignent de l’émergence de la bourgeoisie, classe sociale en quête de reconnaissance et qui juxtapose volontiers les portraits des "grands hommes", politiques ou intellectuels, à ses propres représentations.

Malgré l’affranchissement du format autrefois imposé par les portraits carte de visite et l’évolution des techniques photographiques, la constitution d’albums de famille reste réservée à une élite jusqu’au tournant du 20ème siècle. L’activité implique en effet de disposer de temps et de moyens, comme le révèle le format et la qualité des reliures, mais aussi le soin apporté à l’agencement des photographies. Parfois, celles-ci proviennent encore de studios professionnels.
Les productions amateurs apparaissent peu à peu mais restent érudites. L’album est l’occasion de montrer sa maîtrise des secrets du laboratoire par l’utilisation de techniques particulières. Il est enfin un lieu d’affirmation de la réussite sociale : on y présente sa parenté – enfants dociles, épouse distinguée – dans un univers cossu, tout en relatant les rencontres mondaines, voyages en automobile et villégiatures au bord de la mer.

La généralisation d’une pratique : l’inscription dans le conformisme.

Dans la première moitié du 20ème siècle, le geste photographique va peu à peu s’inscrire dans la vie courante, gagnant progressivement toutes les classes sociales par la simplification des techniques de prise de vue et l’amoindrissement des coûts. Les grands moments de la vie familiale sont immortalisés par l’appareil et les images produites sont garantes de la mémoire de leur auteur et de son cercle proche. L’album permet l’organisation des souvenirs, en une chronologie sans surprise, parfois émaillée d’annotations ou de légendes cocasses.

Invariablement, on retrouve ainsi dans les albums les mariages, baptêmes, communions, et autres fêtes familiales considérées comme des événements heureux, garants de la cohésion du groupe. La naissance des enfants et leurs premières années de vie sont aussi un sujet central. La photographie donne l’illusion de figer ces moments qui passent toujours trop vite, tout en jouant le rôle de preuve de la croissance et des progrès des petits.
L’album de famille certifie encore bien d’autres moments heureux, aussi anodins que le pic-nic du dimanche ou la sieste au jardin, ou aussi exceptionnels que la découverte d’horizons lointains. Certains prennent l’aspect de véritables carnets de route regroupant toutes les preuves du passage dans des lieux rêvés.

Hors la famille, le second cercle.

Rares sont les albums qui dérogent à ces représentations stéréotypées de la cellule familiale. Dans le conformisme de ces autobiographies en images, l’individualité s’exprime parfois à travers l’ouverture à un second cercle de proximité. L’auteur intègre alors aux photographies de ses proches parents des images de ses amis, relations professionnelles, quand il n’y consacre pas un album complet. Le lien social perd alors son caractère imposé, filial, et n’en révèle que plus fidèlement les aspirations et le tempérament du narrateur. L’album concrétise par l’image le réseau d’affinités, de complicités que chaque individu tisse autour de lui au cours de sa vie, en dehors du cercle imposé de la famille.

Commissariat de l’exposition :
François Cheval, Christelle Rochette, Anne-Céline Besson, Carole Cieslar, Caroline Lossent et Emmanuelle Vieillard. 

Le musée a également produit en 2005 le documentaire 
"Familiarités, les albums de l’amateur"
Un film glané et composé par Michel Frizot et Cédric de Veigy
Durée 45’
DVD Français / Anglais
En vente au prix de 14€90 à la boutique du musée