Par-dessus tout
L’objet photographique
17 06 ... 17 09 2017

 

L’image photographique est aujourd’hui omniprésente. Depuis son invention, la photographie s’est peu à peu immiscée dans toutes les strates de notre quotidien. Elle est l’outil privilégié de la représentation de soi et du monde et agit comme un miroir direct ou indirect de ce que nous sommes. Son développement va de pair avec l’avènement de la société de consommation, dans laquelle l’objet fonctionnel, qu’il soit artisanal ou manufacturé, occupe une place prépondérante. La présence de photographies sur d’innombrables objets usuels interroge sur le rapport que nous entretenons avec l’image, sur la valeur que nous lui prêtons. Décor, illustration, message… quel sens ont ces photographies que l’on appose par-dessus tout ?

Les années qui suivent la divulgation de l’invention de la photographie voient éclore une multitude d’expérimentations pour améliorer le procédé. Dans ce bouillonnement technique, deux questions se posent : la reproductibilité et l’inaltérabilité. En effet, les premiers procédés photographiques ne permettent pas la reproduction en série des images, et une fois produites celles-ci restent extrêmement fragiles. Si certaines recherches se concentrent sur la reproduction des photographies par des procédés d’impression, d’autres conduisent peu à peu à des essais sur les supports les plus divers.

En 1854, un premier brevet pour un « nouveau système de production, de fixation indélébile et de coloration des images photographiques par les procédés de la décoration céramique » est déposé par deux peintres, Pierre-Michel Lafon de Camarsac et Léon Joly. Dans les mêmes années, Charles Nègre brevète un procédé sur métal. Louis-Alphonse Poitevin et bien d’autres expérimentent sur porcelaine ou opaline.

Dotée de la capacité de représenter le monde de manière fidèle, de garder une trace de ce qui est voué à disparaitre, la photographie est un moyen de remédier aux déficiences de la mémoire humaine. Dans la sphère familiale et intime, elle facilite le souvenir d’événements passés, de personnes chères, éloignées ou disparues. Elle réduit les distances spatiales et temporelles.

A ces bribes d’Histoires privées, on donne diverses formes. Photographies encadrées, albums de famille font leur apparition progressive dans les intérieurs durant la seconde moitié du 19e siècle. Ce besoin d’avoir les images à portée de regard conduit à la recherche de présentation sur des objets usuels. Avec la Première Guerre mondiale se développe toute une orfèvrerie photographique, rendant transportables partout avec soi les portraits des proches tenus éloignés par le conflit. Les évolutions techniques - et certains bricolages improbables… -permettent peu à peu aux photographies de peupler l’environnement quotidien, au sein du foyer ou dans les bagages de celui qui s’en éloigne, jusqu’à marquer l’emplacement de la dernière demeure.

Aujourd’hui on peut appliquer la photographie sur tant de supports que l’on n’y fait même plus attention. Elle est devenue un élément de décor, en rapport avec la fonction de l’objet ou en complet décalage. On fait ses courses dans un cabas décoré de fruits et légumes, on sert le repas sur un plateau où figurent tous les ingrédients d’une recette, et on boit son café dans une tasse décorée… d’un petit chat !

A partir des années 1970, l’évolution des techniques permet d’imprimer sur les matériaux et les formes les plus diverses. Depuis les technologies numériques, les images prennent place sur tous les objets du quotidien produits à grande échelle par l’industrie, ou à l’unité à partir de photographies personnelles. Rien de plus simple que de confier le portrait d’un proche à un site internet spécialisé pour qu’il soit décliné sur autant de mugs, coussins, médaillons… Le calendrier, classique du genre, fut le premier objet usuel à faire entrer la photographie au sein du foyer.

A l’opposé de ce que l’on garde en mémoire, le terme « souvenir » désigne aussi la kyrielle d’objets vendus dans des boutiques spécialisées sur les lieux touristiques ou de pèlerinage. On les achète pour s’approprier un peu plus l’endroit, pour prolonger les instants grisants de la découverte, pour pouvoir dire « j’y étais ». Au retour du voyage, alors que le quotidien reprend ses droits, le souvenir se doit d’être utile. Il épouse des formes  des formes domestiques au point d’en devenir absurde. La poêle, l’assiette, le bouchon garnis de photographies ne rempliront qu’une fonction décorative…

L’enthousiasme ou l’indignation collective sont de féconds prétextes à la fabrication et à la commercialisation de bibelots hétéroclites, bien souvent de piètre qualité, décorés de photographies. Ils témoignent de la hâte du monde contemporain à établir le caractère « historique » de certains faits l’actualité.

Du Pape à la famille royale britannique, de Mao à Barack Obama, des stars de cinéma, aux icônes de la pop musique, la représentation de personnages publics sur des objets usuels révèle diverses intentions. On serait tenté d’y voir la déformation d’antiques traditions : les empereurs et monarques frappant monnaie à leur effigie, les fidèles peuplant les sanctuaires d’images de leurs dieux… Du point de vue de l’acheteur de telles pièces, il s’agit de s’approprier l’aura des célébrités en les faisant entrer dans leur quotidien, parfois jusqu’à l’accumulation obsessionnelle. Elles sont inaccessibles mais on les possède un peu. Du point de vue des fabricants ou commanditaires, la motivation est essentiellement commerciale…