Will Write Soon
Photos postales du "nouveau" monde
22.02 ... 18.05.2025
vernissage : samedi 22 février à 11h

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Exposition réalisée par Archive of Modern Conflict [AMC] et le Centre d’Art GwinZegal
 
Commissariat de l’exposition: Luce Lebart [AMC]
Scénographie, montage : équipe du musée Nicéphore Niépce
Toutes les images: © collection privée – AMC
 
Publication aux éditions
GwinZegal et AMC
Will Write Soon
par David Thomson
17 x 24 cm
couverture souple
184 pages
30 €
ISBN : 9791094060452

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C’est dans les méandres de la vie quotidienne des villages et des campagnes d’Amérique du Nord au début du XXe siècle que nous entraînent ces centaines de photographies issues d’un registre insolite. En anglais, on les appelle « real photo postcard » [RPPC] et en français, « carte photo ». Elles sont à mi-chemin entre photographie argentique et cartes postales. Ce sont des tirages originaux [de vraies photographies et non pas des images imprimées] dont le verso comporte un espace pour y apposer une adresse, un timbre, ainsi que, à partir de 1907, quelques mots. Avant cette date, seule l’adresse était autorisée au dos des cartes, et les messages étaient alors écrits directement sur l’image ou bien autour d’elle.
 Envoyer une image de chez soi, une photographie que l’on a faite soi-même ou dont on a fait l’acquisition auprès d’un photographe de passage ou de celui du village : cette pratique connaît un engouement populaire extraordinaire entre 1905 et 1915 dans les zones rurales de l’Amérique profonde. Ce boom de la carte photo est triplement favorisé : par la simplification de l’accès à la pratique photographique, par la baisse remarquable des coûts d’envoi, et enfin par la modernisation et la gratuité des livraisons postales. Les livraisons sont fréquentes, ce dont témoignent les cachets postaux. Ainsi, une carte envoyée d’un village à l’autre pouvait parvenir à destination le jour même ou le lendemain. À un moment où les foyers américains sont loin d’être tous équipés de téléphone, les cartes photo deviennent les liens visuels et verbaux entre des générations d’Américains, qui, souvent nouvellement installés, vivent loin des grandes villes.
« Je serai de retour jeudi si tout se passe bien. » ; « Le chien est malade. Il a dû être éthérisé. » ; « C’est là que je passe la plupart de mon temps. » ; « Comment sont ces photos que tu as prises de nous ? » ; « Là où il y a une croix, c’est mon cousin. » ; « La tempête est passée pas loin mais elle nous a épargnés. ».
 
L’exposition Will Write Soon met en avant les qualités esthétiques et documentaires de près de 250 photographies qui ont le plus souvent été prises par des amateurs. La matérialité de ces souvenirs timbrés du quotidien est soulignée, et le dos des images est donné à voir.
 
L’exposition Will Write Soon repose sur la collection de cartes photographiques constituée par le collectionneur et auteur David Thomson, qui en livra une première vision originale dans son livre Dry Hole publié en 2022 chez Morel Books et AMC. Will Write Soon prolonge cet ouvrage en proposant cette fois une rencontre avec les images « telles qu’elles sont ».

Bureau de poste
 
« Post office ». Ces mots sont peints en lettres majuscules blanches sur le toit d’un baraquement de fortune, une construction en bois posée à même le sol en terre battue. Sous l’appentis et à quelques mètres d’écart l’un de l’autre, un homme et une femme − deux employés du service postal ? — ont pris une pose improvisée.
 Semblant tout droit sorti d’un western, ce bureau de poste ressemble à ceux que l’on rencontrait dans les petits villages ou bien encore aux croisements de routes traversant des terres moins peuplées. Ceux-ci restèrent pendant longtemps les maillons forts des liens entre les ruraux et l’extérieur. On s’y rendait à pied, à dos de mule ou à cheval, pour y chercher et y apporter son courrier.
En 1903, année de l’introduction par Kodak de son appareil spécifiquement conçu pour les cartes photos, environ 7,5 millions de cartes postales ont été envoyées aux États-Unis. En 1906, les cartes postales à 1 penny, et parmi elles les cartes photo, ont généré une augmentation de 35% du volume du courrier envoyé par voie postale dans le pays.

 

Waiting for U
 
Postée le 30 novembre 1906 depuis le petit village d’Ansonia, dans le comté de Darke, à l’ouest de l’Ohio, cette carte photo a parcouru plus de 2000 kilomètres à vol d’oiseau pour rejoindre le Colorado. Au dos de la carte, le nom et l’adresse du destinataire « Mrs H. Wolf, 1820 Hill Street, Boulder » apparaissent sous le timbre et les mentions d’usage « Côté réservé à l’adresse » et « Carte postale ».
À côté de la photographie, les quelques mots sans fioritures sont bien à l’image de ceux qui jalonnent les correspondances privées des cartes photo. En lien avec des images du quotidien et plus particulièrement de « chez soi », s’y expriment l’attente d’êtres proches, comme le désir de se voir ou de se revoir: « Maman envoie ses meilleures salutations et dit qu’elle t’attend » ; « Tu reviens quand? » ; « Venez nous rendre visite ».
Souvent rédigés à la hâte et dans des espaces limités, les écrits des cartes photos ressemblent à ceux des SMS contemporains [Short Message Service]. Les mots eux-mêmes sont raccourcis et remplacés par des lettres: « You » devient « U » dans « Watling for U » de cette carte d’Ansonia.

Home Sweet Home ?

Les messages courts, injonctions, assertions ou exclamations qui complètent les images, en infléchissent parfois la lecture. C’est le cas d’une carte photo d’une plaine aride qui, photographiée depuis un point de vue légèrement en hauteur, semble s’étendre vers l’infini. En son centre, trois éléments contrastent avec sa platitude: une maison en bois semblant encore en construction, une grange et une calèche sans cheval. Aucune âme qui vive dans ce paysage hivernal. Le propriétaire est absent, et pour cause, il est probablement en train de prendre la photographie, à moins qu’elle n’ait été arrachée au temps et à l’espace par un opérateur de passage?
Une chose est sûre, l’ajout sous l’image d’un point d’interrogation à la locution « Home Sweet Home? » rappelle l’âpreté des situations auxquelles sont confrontés ceux qui s’installent. L’origine de cette formule idiomatique, qui évoque la douceur du foyer domestique, remonte aux paroles de la chanson [1823] du poète et acteur américain John Howard Payne. La formule apparaît régulièrement sur les cartes photo, au moins autant que le « J’habite ici maintenant » mais pas aussi fréquemment que la promesse répétée du « Je t’écris vite ».

« Ici » et « là»
 
S’il est un sujet qui revient régulièrement dans les correspondances photographiques, c’est bien ce que l’on vient de faire, ou bien ce que l’on s’apprête à faire, le tout étant lié à l’endroit où on est et où on vit à ce moment même, c’est-à-dire quand on s’écrit: «C’est là que je passe la plupart de mon temps», «C’est ici que je vis désormais».
Dans les images, un signe en forme de croix, manifestation visuelle des adverbes de lieu « ici » et « là», les remplace. « Là où il y a une croix, c’est mon cousin. » La flèche joue parfois le rôle de la croix, comme dans cette carte dessinée au dos de la photographie d’une cabane en rondins perdue entre l’Idaho et le Dakota du Sud, dans une forêt du Wyoming. Sur la carte, la flèche désigne ici l’endroit où la photographie a été prise: « Photo prise ici ».

Trophées

Une paire de souliers semble sortie d’une des peintures de Van Gogh réalisées trente ans plus tôt. Ou bien annonce-t-elle celle dont Charlot fera son souper deux décennies plus tard dans La Ruée vers l’or ? Difficile de ne pas penser au photographe Robert Frank en regardant cette image dans laquelle l’écrit et l’image fusionnent. Les mots « Vendues », « Deux ans de service » ont été inscrits sur le négatif. Ici, la gélatine argentique a été creusée grâce à une pointe et ils apparaissent en noir. Là, ils ont été dessinés avec un vernis opaque qui obstrue le passage de la lumière et fait apparaître les lettres en blanc sur le tirage.

Ces godillots sans lacets, chaussures de travail épuisées faites de bosses et de creux, ont été usés jusqu’à la corde. La photographie n’évoque pourtant pas la misère mais plutôt la fierté, on exhibe ces chaussures comme des trophées, hommage au courage face à la dureté des conditions de vie et du travail agricole ou de la mine, hommage encore à ceux qui sont sur les routes et se déplacent. Encore un exemple qui rappelle combien les cartes photo ne reflètent pas la vie ni le quotidien de la haute société, mais plutôt des catégories sociales moins privilégiées, classes moyennes ou populaires qui n’ont que peu d’accès ou de liens avec d’autres types d’imageries ou de moyens de communication.

Une pratique féminine

Plusieurs cartes photo témoignent d’une pratique féminine répandue au tout début du XXe siècle dans les zones rurales d’Amérique du Nord. Telle image envoyée par « Elisabeth » à sa « Cousine Sarah » a parcouru près de 5000 kilomètres. Elle a été envoyée de Concord en Californie sur la côte ouest, à Vermont, à l’autre bout du pays, sur la côte nord-est. Dans l’espace vierge réservé sous l’image, Elisabeth explique qu’il s’agit de son premier essai de carte photo faite entièrement par elle. Comme l’inventeur de la photo Nicéphore Niépce quatre-vingts ans plus tôt, la jeune femme a photographié ce qu’elle voit depuis sa maison, « c’est la vue juste devant notre maison ». Elle promet ensuite d’envoyer aussitôt une image montrant cette fois la maison elle-même. La photo[1]graphe a ici utilisé un papier cyanotype produisant des images bleues. Ces papiers cyanotypes furent proposés comme alternative aux teintes gris-noir des papiers gélatino-argentiques. Les cyanotypes postaux restèrent populaires jusque dans les années 1920. Ils étaient simples à produire, leur traitement se réduisant à un rinçage.

Désastres
 
Les événements funestes sont une manne pour certains photo[1]graphes, qui en tirent profit en les produisant en quantité avant de les commercialiser. Chacun peut ainsi les partager avec des proches plus ou moins lointains. Ici, l’incendie d’un garage ou celui d’un immeuble; là, le déraillement d’un train ou encore les dégâts matériels ou humains causés par un cyclone, une tornade, une tempête ou une avalanche.
Lorsque l’engouement pour les cartes postales photographiques s’empare de l’Amérique rurale au début du XXe siècle, les images photographiques commencent tout juste, grâce à la similigravure, à s’immiscer dans les textes des journaux. À la même époque, en 1905, les services postaux mettent en placent un tarif extrêmement favorable à l’envoi de cartes photos [de l’ordre de un penny]. À cette mesure s’ajoute la généralisation, en 1906, du principe de rural free delivery.
Pour accéder à leur courrier, ceux qui habitent loin des villes n’ont désormais plus nécessairement à se rendre au bureau de poste lointain qui leur est attribué. On peut désormais recevoir des images postales chez soi. C’est alors le moyen le plus rapide de faire parvenir de l’information, de « l’actualité en images » dans les campagnes. Les photographes en eurent l’intuition lorsqu’ils stimulèrent l’utilisation de la carte photo dans ce sens, bien avant que la radio ne pénètre les foyers.