Kate Barry
My Own Space
17 juin .... 17 septembre 2023
inauguration : mercredi 14 juin à 18h30

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Kate Barry [1967-2013] débute sa carrière de photographe en 1996. Les commandes pour la mode et les magazines font sa renommée et son œuvre participe de la construction de l’imaginaire d’une époque [campagne mère-fille pour Comptoir des Cotonniers en 2003-2006, portraits d’actrices lors de la sortie du film Huit Femmes de François Ozon en 2002, etc.].
 Malgré les contraintes des commandes, la photographe impose son regard, ce qui l’autorise à développer des projets plus personnels. Celui consacré aux salariés du marché international de Rungis [Les Gueules de Rungis , 2009] fera date, mais son œuvre autour du paysage est celle où elle exprime le mieux sa sensibilité. À l’opposé du clinquant des magazines, des impératifs des commandes et de la surmédiatisation de sa famille [elle est la fille de John Barry et de Jane Birkin], Kate Barry y propose des atmosphères dépouillées, faites de poésie et de subtilité, à la fois mélancoliques et oppressantes. En 2021, la famille de Kate Barry a donné au musée Nicéphore Niépce l’intégralité de ses négatifs couleur et noir et blanc, sa production numérique, ses planchescontacts, une sélection de tirages ainsi que ses deux principales expositions [Bunkamara Gallery, Japon, 2000 et Arles, 2017].
Le musée propose au public de découvrir une première rétrospective de cette œuvre singulière, diverse et complexe.
Le livre " Kate Barry, My Own Space" aux Editions de la Martinière est en vente à la boutique-librairie du musée.

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[ extraits ]
 
Principalement connue pour ses portraits de figures issues des mondes de la musique, du cinéma et de la mode qu’elle photographie dans le cadre de commandes pour la presse, Kate Barry s’affirme comme une photographe complète, qu’on ne peut circonscrire à cette seule pratique. Surtout, Kate Barry évolue au sein d’un environnement familial où l’image [et en particulier la photographie] est omniprésente.
Si la photographie est partout, elle l’est particulièrement autour de Kate Barry. Fille de Jane Birkin et de John Barry, la vie de famille de Kate Barry est largement médiatisée. Le couple Jane Birkin / Serge Gainsbourg fait longtemps la une de nombreux journaux. Le duo défraie souvent la chronique, voit sa vie scrutée et ouvre régulièrement la porte de sa demeure aux caméras de télévision ainsi qu’aux photographes.
Autour de Kate Barry, la photographie est également omniprésente dans l’intimité. Son oncle, Andrew Birkin, photographe, accompagne souvent la famille dans ses pérégrinations et emmène par exemple Kate Barry alors âgée de 4 ans dans ses repérages destinés à Stanley Kubrick ; il la photographie sur le trône de Napoléon à Fontainebleau, portrait à la fois anecdotique et marquant. Le monde de l’image est prégnant : Jane Birkin actrice et chanteuse bientôt réalisatrice a pour amie la photographe Gabrielle Crawford, elle aura comme compagnon le réalisateur Jacques Doillon, les soeurs de Kate Barry deviendront très jeunes actrices et modèles, etc.

À l’adolescence, Kate Barry semble trouver sa voie dans le stylisme en intégrant en 1983 l’école de la Chambre syndicale de la couture à Paris. Alors que ses créations font l’objet de premiers défilés dès 1985, son parcours est perturbé par plusieurs dépendances. Son séjour, au début des années 1990, dans un centre londonien adepte de la méthode dite « Minnesota » la convainc de fonder un tel centre en France. Initiée en 1991, l’association APTE [Aide et Prévention des Toxicodépendances par l’Entraide] accueille ses premiers patients à partir de 1994. Peu après, Kate Barry abandonne le stylisme pour la photographie. « La photo n’a pas été une évidence. Loin de là. C’est un amoureux quand j’avais 16 ans qui m’a donné mon premier appareil photo. Et c’est encore un amoureux qui m’a donné un appareil photo bien plus tard, à 28 ans. C’était un plaisir que je ne voyais pas. Je me suis fait plaisir plus tard, quand cette notion a pris de l’importance, quand il a fallu construire à nouveau. J’ai pu créer mon espace, un espace à moi. »
Les débuts sont balbutiants mais déjà empreints de la personnalité de la photographe en devenir. À l’instar de nombreux photographes autodidactes, les proches constituent des modèles de choix. Elle s’approprie l’appareil, apprend à jouer avec la lumière et déjà transparaissent des ambiances mélancoliques, des atmosphères pesantes, des compositions où les vides volontaires concourent à dramatiser les scènes, tandis que sa famille se prête au jeu.
 
Rapidement, les premières commandes se présentent et Kate Barry multiplie les séances de prises de vue : reportage pour Elle en octobre 1996 [20 pellicules], commandes de Lui en novembre 1996 [21 pellicules], du Figaro  Madame [30 pellicules] et de l’agence Sygma [23 pellicules] en décembre 1996. Le rythme est toujours aussi soutenu dans les premiers mois de l’année suivante avec des portraits d’Alexandra Kazan, Françoise Hardy, Sabine Azéma, Maïwenn, et ce pour le seul 1er trimestre 1997. Les magazines, ceux de mode en particulier, sont encore à l’apogée de leur diffusion et la profusion des titres offrent à Kate Barry de nombreuses opportunités. Elle , Vogue , Cosmopolitan , Jalouse , L’Officiel , Gala , Off Femme , DS  puis plus tard H&K , Glory , Madame  Figaro , Elle Japon , Joyce , Vanity Fair , etc. : cette liste non exhaustive de titres traduit la grande variété de magazines qui s’adressent à elle, la diversité stylistique portée par chacun d’entre eux et à laquelle la photographe s’efforce de répondre.
Jusqu’alors environnée de photographies et de producteurs d’images de toutes sortes, elle-même modèle pour ses propres créations de mode, Kate Barry s’installe rapidement à partir de 1996 comme une photographe qui compte : son accès privilégié à certaines personnalités, ainsi que l’univers visuel singulier qu’elle sait créer et qui lui est propre, achèvent de convaincre nombre de commanditaires et de modèles à faire appel à elle. Son implication au monde aussi. Ses engagements sont nombreux : une affiche pour Ni Putes Ni Soumises en 2003, la couverture pour le 1er numéro de Rose , magazine dédié aux femmes atteintes d’un cancer [automne 2011], une série de portraits engagés de personnalités dans le cadre de la Vague blanche pour la Syrie en 2012 [où elle photographie Sandrine Bonnaire, Sonia Rykiel et Sophie Marceau dans le cadre d’un projet photographique et politique initié par Sarah Moon]. Par ailleurs, Kate Barry n’hésite pas à brouiller son image de photographe de mode et de personnalités du show-business et du cinéma : même s’il s’agit au départ d’une commande, elle s’investit particulièrement dans une série de portraits réalisés à Rungis dans le cadre des 40 ans du célèbre marché [2009].
À partir de 2002 et jusqu’à, au moins, 2008, Kate Barry s’essaie à un genre nouveau pour elle, le paysage, et c’est là que toute sa sensibilité va s’exprimer. Seule face à la nature, elle saisit des détails, sans forcément y réfléchir, se met en œuvre, comme le suggère Marie Darrieussecq, « une flânerie active, une flânerie déterminée [si une telle chose peut exister] ». En contrepoint de sa pratique du portrait, Kate Barry évoque la nécessité de s’essayer à une autre forme de photographie : « C’est pourquoi j’ai fait des photos de lieux. Pour perdre mes repères, perdre ce regard croisé, ce regard reconnaissant. » Dans ses paysages, réalisés au gré de ses voyages en Israël, en Jordanie, en Normandie [Le Havre notamment], en Bretagne [à Dinard avec Jean Rolin], Kate Barry construit une œuvre délicate, fragile, suscitant l’introspection. Ses proches évoquent ses paysages comme étant son « vrai » travail photographique, le plus proche de sa personnalité, celui où ses inquiétudes et ses silences s’expriment le mieux.
 
Alors que Jean Rolin nous narre que « Kate avait pris cette habitude de filmer, à l’aide d’un appareil photo miniature et d’une manière un peu compulsive, non pas même tout ce qui se passait autour d’elle, mais plutôt ce qui se déroulait à ses pieds » et que très rarement elle relevait la caméra pour filmer le décor, les paysages de Kate Barry surprennent justement par leurs cadrages et leur atmosphère. Jamais elle ne semble lever la tête : la ligne d’horizon est haute, part belle est donnée aux sols et à leur altérité. Ses paysages proposent des sujets peu communs[cimetières, murs défraîchis, détritus abandonnés dans un sous-bois, etc.], des ambiances mélancoliques [là une plante qui s’extrait du bitume tant bien que mal, ici une route de campagne mal entretenue sous un ciel qui semble plombé], des corps anonymes comme perdus dans des décors urbains où la nature reprend ses droits, etc. En ce sens, les photographies avec Jean Rolin pour l’ouvrage Dinard, Essai d’autobiographie  Immobilière  font œuvre de manifeste de sa pratique du paysage, succession de « lieux indécis » dont ils partagent tous deux le goût.
Quand sa carrière est brutalement stoppée en décembre 2013, Kate Barry envisageait des projets de documentaires, ceux inaboutis autour des auteures Flannery O’Connor ou Mary McCarthy ou celui consacré à Philippe Djian. Actrice des changements provoqués par l’émergence des technologies numériques suscitant une porosité accrue entre images fixes et images animées, Kate Barry poursuivait là une démarche représentative d’une photographe de son temps : enfant puis adolescente au cœur des années 1970-1980 quand la médiatisation à outrance de certaines figures célèbres s’accentue, jeune femme assiégée par un monde d’images dans son propre quotidien, elle-même productrice d’images photographiques en amateure avant d’exercer comme professionnelle, photographe de commande puis auteure à part entière exposant et vivant de sa photographie.
L’étude du fonds Kate Barry nous montre les différents possibles de notre rapport à la photographie. L’auteure y déploie sa personnalité et son espace à elle, d’abord cernée par les images des autres avant de devenir elle-même productrice d’icônes.

 Sylvain Besson