Par leur abondance et leur diversité, les collections du musée Nicéphore Niépce concernant la première guerre mondiale sont représentatives de la production photographique de l’époque. Les multiples facettes du fonds rendent compte du flot permanent d’images, officielles ou populaires, circulant alors à l’arrière du front. Comme s’accordent à dire les historiens, ces images contribuèrent à banaliser, à déréaliser le conflit, tout en permettant aussi la remobilisation des civils.
Albums de photographies, épreuves sur papier, vues stéréoscopiques, revues, cartes postales retracent les événements et la vie quotidienne pendant la Grande Guerre. Les productions amateurs réalisées sur le front et les images « officielles » sont représentées dans cet ensemble de plus de 8000 images mêlant la grande Histoire aux multiples impressions des individus, témoins et victimes du conflit.
Le projet 14-18, une guerre photographique est né de la coopération entre le Musée Nicéphore Niépce, la société on-situ et Nicéphore Cité.
www.uneguerrephotographique.eu
est un espace de consultation et d’exploration en ligne permanent. Il rend accessible à tous des documents de la Première Guerre mondiale conservés dans les collections du Musée Nicéphore Niépce.
En restant au plus près des objets photographiques originaux et de leur mode de réception, le site ainsi que son application iPad, met à disposition du public deux fonds iconographiques significatifs :
Le Miroir
, une revue photographique
Une collection de 282 numéros de l’hebdomadaire illustré « Le Miroir » édités entre août 1914 et décembre 1919.
Ce journal est l’un des premiers à faire appel aux photographies d’amateurs, y compris à celles des soldats au front. Il obtient de ces derniers, grâce à leur proximité du combat, un renouvellement de la production photographique et enrichissent l'iconographie formatée du service photographique de l'armée.
Les yeux de la guerre
Une collection de 680 plaques de verre stéréoscopiques (en relief) réalisées pendant le conflit et diffusées dès 1919.
[La consultation des images stéréoscopiques nécessite le port de lunettes 3D anaglyphe pour en profiter pleinement.]
Le procédé de la photographie stéréoscopique, en relief, existe depuis les débuts de la photographie et sa seule prétention était jusqu’alors de divertir le public. Mais elle sera largement utilisée pendant la Grande Guerre pour son hyperréalisme. Les vues, fidèles dans la restitution des corps, des paysages, projette le spectateur dans des situations dramatiquement vraisemblables, s’approchant au plus près du réel, souvent de l’horreur.
« La guerre est un spectacle , une suite d’impressions en héliogravure sur papier couché, une conséquence de la modernisation des médias.
Le Miroir, « hebdomadaire entièrement illustré par la photographie », va ainsi témoigner d’une réalité nouvelle de la guerre moderne : l’internationalisation du conflit.
Les images dont il est question dans Le Miroir n’ont pas pour but d’informer : elles certifient et authentifient la justesse d’un combat mené par la Civilisation contre la Barbarie. Le Miroir s’affirme comme un credo illustré, instruisant un procès à charge, propos qui ne souffre d’aucune contestation. Il n’y aurait rien d’original dans cette propagande si ce n’est la forme photographique recouvrant intégralement le support magazine.
La fabrication d’une revue hebdomadaire entièrement illustrée par la photographie exige une iconographie fournie et renouvelée. La grande originalité du Miroir aura été de faire appel aux photographies d’amateurs sous la forme de concours auxquels les soldats répondront eux-aussi. L’initiative, lancée dès août 1914, annonçait que le journal « paiera n’importe quel prix les documents relatifs à la guerre et présentant un intérêt particulier
».
En pleine guerre, un million d’exemplaires de la revue se répandent dans les campagnes, dans toutes les provinces françaises, avec pour mission de recréer un lien entre les combattants et l’arrière.»
« Il y a eu de nombreux disparus et des morts laissés sans sépulture.
La dernière trace pour ceux qui avaient perdu un proche restait la lettre. Les vues servent alors à témoigner autrement, à distiller un message de paix ( « plus jamais ça » ), à se reconstituer une mémoire immédiate sur le conflit, à se le réapproprier, à s’immerger dans une guerre vécue à distance, à mettre en résonance les mots des lettres, à libérer la parole de ces soldats revenus ou morts à la guerre, à s’imprégner des lieux pour faire un certain deuil, raviver le souvenir, à mettre des images sur des lieux d’héroïsme et à attester ainsi de la victoire.
Il existe des milliers de vues en relief sur la Grande Guerre, ses différentes batailles. Rangées en séries dans des boîtes comme à l’origine quand elles étaient vendues, souvent légendées, elles sont rarement datées et authentifiées par les historiens. Revoir la Grande Guerre en relief, c’est donc réinterpréter, réinventer une nouvelle forme d’appropriation et de restitution pour ces vues. Renouveler la mémoire. Réinitier doublement le regard à partir de ces même vues livrées dans les années 1920. Autoriser une lecture contemporaine car les plaques sont éloignées de nos conceptions photographiques et des mises en images des conflits guerriers. Aujourd’hui, ce type de points de vue serait émis, diffusé avec réserve au public alors même que toutes les images sont autorisées et médiatisées. »
« Deux mots pour te donner de mes nouvelles qui sont excellentes. »
Comme tant de soldats partis au combat dès le mois août 1914, Antoine (dit Toinot) tente de rassurer son épouse. Au fil de sa correspondance avec Madeleine (Mamad), il réitère inlassablement les mêmes propos rassurants, seuls à pouvoir passer le contrôle de la censure mise en place par l’armée. Cette écriture quasi quotidienne occupe le soldat dont la vie, en dehors des assauts, est faite d’attente et d’ennui. En plein conflit, ce sont des millions de cartes et de plis, bénéficiant le plus souvent de la franchise postale, qui transitent journellement par le Bureau central de la poste militaire.
Ces images à caractère nationaliste – mises en scène de studio ou photomontages – sont éditées dans toute la France et particulièrement à Lyon. Outre les pensées affectueuses qu’elles véhiculent, elles sont comme les photographies diffusées par la presse, un outil de propagande contrôlé. Traduisant tour à tour la volonté de revanche sur la guerre de 1870 et l’union sacrée des Français avec leurs soldats, les cartes postales patriotiques exploitent divers stéréotypes : héroïsme du Poilu, fidélité de l’épouse laissée à l’arrière, fraternité avec les alliés anglais ou belges... Fantaisistes, mièvres, parfois grivoises, elles refusent de montrer la réalité cruelle de la guerre.
Le musée Nicéphore Niépce et la société on-situ ont réalisé en 2006 le film "Deux mots pour te dire..." à partir du fonds de centaines de cartes postales échangées par ce jeune couple chalonnais séparé pendant toute la durée du conflit.