La photographie d’Antoine d’Agata est plus suggestion qu’identification, plus évocation que représentation. Fruits d’errances nocturnes associées à une part d’inconscience, conséquence de psychotropes, ces images versent dans le flou, la fuite jusqu’à un lyrisme noir, profond et rarement atteint.
Depuis dix ans, Antoine d’Agata, de nuit de préférence, parcourt le monde profitant de ses déambulations pour nous dépeindre un univers sombre et torturé très loin du reportage. Dorénavant il nous fait pénétrer dans l’univers décalé de son propre vécu, faisant de nous des spectateurs mal à l’aise.
Depuis quatre ans, le musée soutient la production d’Antoine d’Agata et conserve ainsi un ensemble complet de ses prises de vues les plus récentes. L’exposition est l’aboutissement de cette collaboration.
Ma photographie, qu’elle emprunte le forme d’un journal ou d’un document, est avant tout un cri, une réaction instinctive, irrationnelle, excessive parfois, mais sincère, devant l’horreur à laquelle tout homme doit faire face.
Antoine d’Agata
Le travail d’Antoine d’Agata peut se définir comme une prise de conscience autobiographique, un journal intime. Le photographe documente ce qu’il vit au moment où il le vit, partout dans le monde.
Il se laisse entraîner par un tourbillon dont il ne connaît pas les conséquences et les risques, ce qui confère aux instants qu’il capture, une réalité incomparable. Les choix sont inconscients, mais les obsessions restent les mêmes : la sexualité, la peur, l'obscurité, la mort... Il pose sur le papier des expériences ordinaires ou extrêmes. Les prises de vue sont dues au hasard des rencontres, des situations. La brutalité de la forme et l'exagération de la vision nous obligent à nous intéresser à la réalité de ce que nous voyons. Le spectateur se détache alors de sa position de voyeur ou de consommateur, pour partager une expérience extrême et s'interroger sur l'état du monde et de lui-même.
Jamais Antoine d’Agata n’aura disposé d’autant de cimaises, de mètres linéaires pour mettre en place son récit. L’exposition « Ice » est conçue comme une suite de documents de toutes sortes : photographies, planches contacts, lettres, vidéos, etc. De semaine en semaine les photographies et les documents s’additionneront. La spécificité de l’exposition sera donc liée à son caractère évolutif, l’accrochage se poursuivant durant toute la durée de l’évènement. Une installation photographique expérimentale, éclaté dans l’espace et dans le temps.
Au Japon ou au Cambodge, des spectres au chevet du lit, des filles toujours les mêmes dans des lupanars lugubres, et tout ce qui peut se consommer avec, se prendre avec, voilà la sombre traque d’Antoine d’Agata. Une traque, disons plutôt compassion, car le photographe qui fraye dans ces lieux depuis son plus jeune âge, aime intensément les réprouvés. Il en est un. Et même si tout paraît se répéter dans des scènes rejouées jusqu’à la nausée, chaque plan est unique, chaque rencontre entrelace sans mensonges les corps, le principe de vie et son contraire. Devant une telle représentation sans tricherie, nous entendons « dans le lointain des cris prolongés de la douleur la plus poignante »... Nous, spectateurs interdits et craintifs, sommes confrontés à nos propres démons, à nos conformations.
Ils ne comprennent rien à cette photographie ceux qui la prennent telle quelle, ne voyant qu’une relation pornographique et fatale.
Nocturnes, c’est comme cela qu’on l’on nommera ces images sans limites qui ne connaissent que le flou. Autour du photographe et de son double féminin, la réalité s’évapore. Il n’y a pas de décor. Il fait sombre dans ce huis-clos.
Antoine d’Agata s’évertue aveuglément à rechercher dans ce monde qui n’est plus vaste celle qui, oracle funeste, pourrait énoncer la dernière vérité de ce théâtre des cruautés. Si jamais il la trouve, l’histoire pourrait prendre fin
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François Cheval, Conservateur du musée Nicéphore Niépce