Découverte par le critique et collectionneur Bernard Lamarche-Vadel, Anne Péry (1973-2003) accumulait les images, son appareil toujours à portée de main. Paysages fragmentaires, portions de corps, Anne Péry se nourrissait d’entre-deux. En 2001, présente à New-York au moment des attentats au World Trade Center, elle photographia la rue, le patriotisme d’une population brandi au travers d’une multitude de drapeaux. Le musée propose de revenir sur une œuvre méconnue, mise en dépôt dans ses collections depuis 2008 par la famille de l’artiste.
Les travaux d’Anne Pery sont fondés sur ce qu’elle considérait comme une forme d’"indiscrétion visuelle", un "rapport d’urgence au détail". Captant d’infimes indices du monde qui l’entoure, elle les photographie car ils lui semblent révélateurs d’un tout. Elle pense pouvoir transformer les incertitudes qui l’assaillent en certitudes par le biais de l’image.
Tout juste diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, Anne Pery fait la connaissance du critique d’art et collectionneur Bernard Lamarche-Vadel. Il remarque l’originalité de son travail et en sélectionne des extraits pour l’exposition / installation "L’enfermement photographique" , présentée à la Maison Européenne de la Photographie pendant l’hiver 1998-1999. La rencontre avec Bernard Lamarche-Vadel est un évènement déterminant dans le parcours professionnel d’Anne Pery. Au-delà d’une connivence intellectuelle certaine, il devient un ami intime. Leurs échanges éveillent en elle la nécessité de murir un projet artistique et d’exposer ses travaux, alors que jusque là le destinataire de ses images n’était autre qu’elle-même.
Les premières recherches photographiques d’Anne Pery font état de ses interrogations sur l’écart entre imaginaire et réalité. "Est-ce que ce que je vois existe ou est-ce le fruit de mon imagination ?". La prise de vue vient authentifier une impression, un ressenti visuel. Mais elle jette aussi le doute sur le sujet représenté par une approche fragmentaire, où le détail devient objet à part entière. Le cadrage serré déconnecte certains éléments de leur contexte et leur confère une nouvelle existence. Les pattes d’un chat deviennent d’inquiétants ergots, le visage d’un ami se transforme en un paysage des plus sereins.
Ce que je fais n’est pas humain.
Une série de photographies en couleur est amorcée par Anne Pery en 1999 lors d’un premier séjour à New-York. Elle poursuivra ce travail jusqu’à sa mort à Cracovie en 2003. De plus en plus obsédée par le détail, qu’elle considère comme révélateur du monde qui l’entoure, l’artiste livre à travers ses photographies une approche quasi millimétrique de l’humain et de l’animal, proche de l’étude morphologique. Fascinée par la dissection, son regard se fait scalpel et décompose les êtres en fragments à la limite du compréhensible. Le changement d’échelle au moment du tirage accentue la déstabilisation du regard.Pour argumenter son travail, Anne Pery citait cette phrase de Lamarche-Vadel, sans forcément en nommer l’auteur : "Demeurer dans les marges du visuel, trouver les lisières, buter sur les frontières, réaliser des entre-deux, montrer les vides par où l’œil peut appréhender la plénitude du monde."
11 septembre 2001
Présente à New-York au moment des attaques terroristes sur le World Trade Center, Anne Pery photographie Manhattan et la population américaine venue témoigner son émotion près du lieu du drame. Elle est particulièrement frappée par la ferveur patriotique qui s’empare des Etats-Unis, traduite par l’omniprésence du drapeau américain qui envahi les rues et devient le symbole d’un engagement massif du pays contre le terrorisme. Cette série n’a pourtant rien d’un photo-reportage au sens classique du terme. Se mêlant à la foule, son regard est encore une fois attirée par le détail. La photographe ne cherche pas à rendre compte de ce drame sans précédent mais s’immerge dans l’effervescence de Manhattan en quête d’indices propres à témoigner de l’angoisse sourde du peuple américain. Elle semble déjà pressentir les conséquences dramatiques de cette peur collective.