L'Indochine en guerre,

des images sous contrôle [1945 - 1954]

16 10 2010 … 16 01 2011

L’exposition "L’Indochine en guerre, des images sous contrôle [1945-1954]" s’inscrit dans la réflexion que mène depuis plusieurs années le musée Nicéphore Niépce sur la photographie de guerre.

La guerre et la photographie sont intimement liées depuis la Première Guerre mondiale.
La guerre de 1914-1918 a vu un développement spectaculaire de la photographie dans les magazines (Le Miroir, L’Illustration,… ), ou avec la photographie aérienne (1915). Les conflits qui ont suivi (guerre d’Espagne, guerre Sino-Japonaise, Seconde Guerre mondiale) ont vu l’émergence du photojournalisme et l’affermissement des services photographiques intégrés à l’institution militaire.
A partir de 1964, l’intervention américaine au Sud-Vietnam va donner au photojournalisme l’occasion d’écrire une de ses plus belles pages. Mais contrairement aux idées reçues, si les photographes de presse ont pu rendre compte de la guerre, ce ne fut pas sans difficultés, contraintes et pressions. Les quelques espaces de liberté qu’ils se sont octroyés se sont alors vite refermés.
La guerre contemporaine depuis son épisode koweïtien jusqu’à ses derniers développements irakiens et afghans nous ont habitué à l’idée de guerre médiatique. Ces événements récents ont laissé croire que l’image photographique était depuis peu sous contrôle.  
L’analyse de la production photographique française réalisée pendant la guerre d’Indochine [1945-1954] prouve qu’il n’en est rien. 

L’exposition tend à démontrer, à travers les publications de l’époque [Paris-Match, Noir et Blanc, Radar, Point de vue Images du Monde, Regards, Life ], les archives photographiques de l’armée française [Etablissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense (ECPAD)], et de sources privées [Archives des photographes Raoul Coutard, Pierre Ferrari, Willy Rizzo, Getty Images], ou institutionnelles [Centre national des arts plastiques, Fondation Suisse pour la photographie] les conditions de production et de diffusion des images du conflit : une image au service d’un discours officiel, mise en place et contrôlée par les autorités françaises.

L’exposition proposera également des visions particulières et confidentielles du conflit : le travail de Willy Rizzo et de Werner Bischof tous deux envoyés par le magazine Paris-Match pour suivre le conflit, les images de Raoul Coutard ou de Pierre Ferrari, opérateurs militaires, qui de l’intérieur même de l’armée proposent un autre regard.

Les Etats-majors dirigent et contrôlent la production et la diffusion des images. La figure mythique de Capa, qui mourra en Indochine, est remplacée par l’image confuse et obscène des photographes "embarqués" dont l’itinéraire et l’emploi du temps dépendent de services spécialisés. On assiste à une dégradation des conditions de travail des photo-journalistes.
Ce qui semble à première vue une configuration contemporaine est beaucoup plus ancienne. Elle remonte aux années 1950. Et, c’est à l’occasion du conflit Indochinois que l’Etat-major de l’armée française va mettre en œuvre une politique éditoriale intégrant l’image moderne, la photographie et le cinéma.
A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la France est entièrement préoccupée par les problèmes de ravitaillement et de reconstruction. Le conflit, lointain, est sans conséquences directes pour la majorité des français ; il ne passionne guère. Le Corps Expéditionnaire Français d’Extrême-Orient a donc pour mission de restaurer la souveraineté française mise à mal, de "pacifier" un élément essentiel de "l’Union Française". Ce qui, au début, n’était qu’ "une simple opération de police" à l’encontre de "brigands", devient rapidement un conflit international. Pour les politiques et les militaires, il faut mettre en œuvre une stratégie globale, incluant, selon les termes de l’époque, l’information.
La Chine Rouge (1949) de Mao Tsé-Toung a dorénavant une frontière commune avec la France. Le général de Lattre de Tassigny, nommé Haut-Commissaire en 1950 pour rétablir une situation difficile, établit dès son arrivée à Hanoï un plan de communication en regroupant les services civils et militaires de l’information. De cette fusion naîtra le SPI (Service Presse Information).
Ce service sous l’autorité de Jean-Pierre Dannaud et du capitaine Michel Frois a pour mission principale de fournir à la presse, qu’elle soit nationale ou étrangère, des informations, des images du conflit. Plus qu’un simple organe de diffusion de documents illustratifs, ou de propagande, le SPI devient un véritable outil tactique au service du Haut-Commissariat. Son rôle est avant tout de présenter favorablement les activités du Corps expéditionnaire et l’action civilisatrice des institutions françaises en Indochine face à la "désinformation" communiste et contre le scepticisme général.

Le général de Lattre de Tassigny conscient de l’importance de l’image, fait de l’information une arme primordiale dans le combat contre l’ennemi. Il s’agit avant tout de "vendre la guerre", de sensibiliser l’opinion publique en vue d’obtenir des financements, notamment américains. Le "Roi Jean" séduit, et l’armée française est à son image. Les photographes et cinéastes, engagés militaires, ou accrédités, couvrent désormais toutes les opérations, tandis que les correspondants de la presse écrite doivent se contenter des briefings du camp de presse. "L’information" sera d’autant plus neutralisée qu’elle sera désormais plus ouverte mais contrôlée.

De tout cela que ressort-il ? Un objet irréel coupé de la réalité des combats et de la situation politique complexe et contradictoire. Le SPI met en scène (inconsciemment ?) une guerre dont la nature n’est pas coloniale mais fratricide, une guerre où le combattant de l’Union Française reste le dernier rempart contre le communisme. Ce héros simple ne fait que poursuivre la mission éducatrice et progressiste de la France en Extrême-Orient. Sous la conduite de chefs irréprochables, l’armée française, fort du soutien américain et de l’appui de la mosaïque des peuples indochinois, ne peut perdre face au Vietminh, une organisation subversive soutenue par la Chine et l’URSS.

De là, des images lisses, esthétisantes, ou jamais la dureté des combats, la détresse, la souffrance ne sont présentes. Le "candid shot" sera souvent la règle. De ce conflit qui fera plusieurs centaines de milliers de morts, jamais la presse hexagonale ne présentera le moindre mort français. Cette vision, pour le moins romanesque et unanimiste, sera mise en difficulté par l’hebdomadaire américain Life  (n°5, 3 août 1953), sous la plume d’un de ses célèbres reporters David Douglas Duncan. Cela ne veut pas dire que les images des photographes militaires, de Jean Péraud, Raymond Varoqui, Fernand Jentile, Paul Corcuff, Daniel Camus, etc, sont dénuées de toute qualité, bien au contraire. Mais, soumis à l’autorité militaire à qui ils doivent remettre leurs négatifs, munis d’un matériel inadapté (Rolleiflex 6x6), sans contrôle sur le choix et la destination finale des images, les photographes n’ont pu s’exprimer et mettre en valeur des récits originaux. Ces photographes, généralement engagés volontaires, dotés à l’origine d’un faible bagage technique, d’origine sociale modeste, ont trouvé à l’occasion de ce conflit des opportunités qui les conduiront pour certains à des carrières remarquables (Pierre Schoendoerffer, Raoul Coutard, …).

L’exposition propose une vision simultanée d’images officielles (SPI / ECPAD) et d’images moins connues mais intéressantes par leur perspectives, des points de vue dégagés de l’institution militaire. Dans cette dernière catégorie entrent les reportages de Willy Rizzo, Werner Bischof, Raoul Coutard et Pierre Ferrari.

Paris-Match, lassé des images fournies par l’armée, souhaite publier des images différentes. Le magazine envoie son photographe Willy Rizzo qui va "scénographier" la guerre. Werner Bischof, délaissant volontairement le conflit, s’arrête contemplatif sur la beauté d’un peuple, de ses femmes et de ses enfants.

Des photographes à l’intérieur même de l’armée offrent d’autres visions. Pierre Ferrari et Raoul Coutard dans le cadre de leur mission militaire ont su, chacun à leur manière, rendre compte d’autres réalités du combat et du pays. Pierre Ferrari, va en particulier, lors des événements de Banh Hine Siu, au Laos (janvier 1954), saisir des scènes de combats rapprochés, brutes et efficaces. Raoul Coutard, directeur de la photographie de la revue "Indochine, Sud-Est Asiatique" [revue luxueuse abondamment illustrée de photographies, noir et blanc et couleur, elle est éditée par le Service Presse Information, à destination de la métropole et de l’Indochine. Tirée à 15 000 exemplaires, (32 numéros de décembre 51 à juillet 54), elle présente l’Indochine sous un angle ethno-culturel, mais reste surtout la voix des autorités françaises pendant le conflit. Le combattant disposait lui d’une revue, économique, "Caravelle"], lors de sorties dans les haut-plateaux, sera un des seuls à brosser, en couleur, le portrait de minorités.

L'exposition présente plus de 400 documents photographiques produits par les photographes suivant :
ECPAD :
Paul Corcuff, Pierre Ferrari, Raoul Coutard, Raymond Cauchetier, Jean Péraud, Daniel Camus, Tourand, Guilé, Georges, René Adrian, Fernand Jentile, Claude Le Ray, Gérard Py, Jacques Oxenar, André Darteil, Georges Kowal, Aubin.
Presse :
Paul Almasy, René Vital, Wayne Miller, Carl Mydans, David Douglas Duncan, Howard Sochurek, Hans Walker, Werner Bischof, Willy Rizzo.